AVANT PROPOS de Daniel J. Chevaux
En parcourant le web je me suis aperçu que de nombreux sites traitaient de l'histoire de Colomb-Béchar.
Ayant été témoin d'une période de la vie de cette ville, 1933 à 1962, il m'incombe un devoir de mémoire à l'égard d'un homme qui, par son travail, a marqué d'une manière indélébile la fondation de cette ville.
Cet homme s'appelait Georges Chevaux, c'était mon père, visionnaire, bâtisseur et humaniste.
Diplômé d'architecture, il fut affecté à Colomb-Béchar en 1933 en tant qu'Architecte Voyer.
Il tomba amoureux de cette région du Sud Oranais et s'employa durant deux
décennies à l'urbanisation de cette ville.
Pour commencer il utilisa les photos aériennes — une première pour l'époque — avec le concours de la 28eme escadrille du 28me groupe d'aviation d'Afrique stationnée à Colomb-Béchar.(voir photos)
Il dessina et fit construire les bâtiments de la Poste, de l'Ecole des Garçons, de l'infirmerie, du Tribunal, de la Mairie, du Jardin Public avec son parc zoologique et la Piscine Municipale.
C'est par cette réalisation, qui révèle bien le caractère de mon père, que je commence mon récit.
Tout d'abord il faut savoir qu'à cette époque Colomb-Béchar faisait partie de ce que l'on appelait « Les Territoires Militaires » et de ce fait se trouvait sous l'autorité de l'Armée.
A cette époque il n'y avait que deux piscines, l'une pour les officiers et l'autre pour les sous-officiers. Les civils n'avaient aucun droit d'accès, à l'exception de quelques privilégiés bien sûr.
Aussi, mon père suggéra d'en construire une nouvelle à l'entrée du jardin public, qui serait destinée à toute la population. Il obtint une fin de non recevoir de la part du capitaine H., chef d'annexe.
C'était mal connaître la détermination de mon père, surtout lorsqu'il s'agissait de réparer une injustice. |! attendit que tous les officiers soient partis en vacances d'été (elles duraient 3 mois, à cause des grandes chaleurs) et entreprit les travaux, ils étaient quasiment terminés au retour des autorités.
Cela lui valut un blâme, mais les Béchariens avaient leur piscine « Olympique » 33,33 mètres avec plongeoir.
Parallèlement à ces constructions et dans la logique de son plan d'urbanisme, il créa un règlement de la voirie (voir photos).
ll travailla sur la façon la plus économique et efficace pour améliorer l'état des pistes (phénomène de « tôle ondulée » destructrice de mécanique) et faciliter ainsi les échanges entre Colomb-Béchar et le monde extérieur. Pour ce faire il inventa un engin permettant de niveler les pistes (voir photos). Cet engin peut paraître aujourd'hui dérisoire, mais il faut remettre cela dans son contexte, avant 1939, il n'y avait pas encore le pétrole, et donc pas de goudron.
Un autre aspect de sa personnalité :
Il travailla énormément sur les recherches hydrologiques car il était persuadé que la région serait capable d'avoir son autonomie dans le domaine de l’agriculture, notamment dans la production de céréales et de légumes. (voir étude)
Ce sont ces recherches qui le conduiront quelques années plus tard, en 1945, à se faire mettre en disponibilité, de façon à pouvoir démontrer les possibilités en la matière.
Une ferme expérimentale vit ainsi le jour entre Colomb-Béchar et Bidon2.
Pour cela il fit un emprunt auprès d'une Banque, et réussit à convaincre son fils aîné René et son beau-fils Charles Rossi, de le suivre. Cela se fit sans trop de difficultés ils revenaient tous les deux de la guerre - René avait servi dans la 2eme DB et Charles, qui fut à mon sens la cheville ouvrière de cette aventure (car avec le recul il me semble, aujourd'hui, que sans lui rien n'aurai pu se faire) Il avait été fait prisonnier à Dunkerque et avait passé 5 longues années en captivité. Originaire de Géryville, Charles avait marqué cette ville par sa gentillesse et son dynamisme, particulièrement dans le milieu du scoutisme, encore aujourd'hui des anciens se souviennent du « Chef Charlot ».
Et donc, à tous les trois avec leurs épouses, ils réalisèrent la gageure de créer cette ferme, cela fut pour eux une aventure extraordinaire. (Peut-être un peu moins pour les épouses... mais enfin ! )
Dans un premier temps la ferme s'étendait sur 6 hectares et un peu plus tard la superficie fut portée à 16 hectares.
Pour lutter contre le vent de sable la première partie fut clôturée par une mur de 4 mètres de hauteur sur 0.50 cm de largeur- ce dernier doit exister encore aujourd'hui - A l'intérieur de cette enceinte, tous les carrés de culture étaient séparés par des haies de roseaux, toujours pour lutter contre ce sacré vent de sable.
il fallut forer deux puits pour l'irrigation qui, compte tenu de la température souvent supérieure à 42° à l'ombre, était assurée la nuit par un personnel « arroseur ».
Dans mes souvenirs les plus extraordinaires, il y a ces nuits merveilleusement étoilées et douces où l'on entendait les chants des arroseurs d'origines diverses (Béchariens, Maliens, Marocains, etc... ) le tout ponctué souvent par des appels de chacals ou de hyènes.
Les principales productions de cette ferme était : la pastèque, le navet, l'asperge, l'artichaut et le melon (voir photos) Ce dernier attiré particulièrement les chacals.
Epilogue :
Malheureusement tout cela va prendre fin brutalement en 1955, mon père va avoir une attaque d'hémiplégie. La ferme fut vendue à une Société de transport, la CTA (Cie de transport Algérien).
A la suite de cette vente, après avoir surmonté un peu son handicap (il est resté paralysé du côté gauche) et avoir réappris à conduire d'une seule main — une DS - il s'est de nouveau plongé dans l'agriculture en achetant une ferme en Dordogne, à Lamonzie Montastruc.
Mais l'âge et son handicap l'obligèrent à se séparer de cette ferme au bout de quelques années.
ll se retira avec son épouse à Poitiers auprès de leurs deux enfants aînés.
Vers la fin de sa vie il refit, pour s'occuper, toute l'étude du chauffage centrale des tours de la ZUP de Poitiers. || voulait démontrer au Maire de cette ville toutes les erreurs qui avaient été commises...
Ce personnage hors du commun s'éteignit à Poitiers en 1980
Conclusion :
Voilà ! A l'orée de ma vie j'ai voulu témoigner et dire à quel point, Georges Chevaux, cet homme, de passions, a aimé Colomb-Béchar.
Et dire aussi qu'à son exemple, il est toujours possible de réaliser de grandes choses, à force de volonté et d'amour, pour une région, pour une terre, pour un métier.
Avant de terminer cet « Avant propos » je tiens à souhaiter longue vie à Béchar, que les habitants actuels soient aussi heureux que nous avons pu l'être. Même, si faute d'électricité nous avions des gargoulettes, des guerbas, ou des bouteilles revêtues de vieilles chaussettes, la base trempant dans un bac d'eau, et cela pour un hypothétique refroidissement. Même si en guise d'éclairage nous avions les lampes à carbure ou à pétrole ! ( Il est vrai que c'était avant 1945...)
N.B
Ceci s'adresse maintenant tout particulièrement aux Béchariens d'aujourd'hui.
Dorénavant lorsque quelqu'un vous parlera du quartier « janvier » ou « jenvier » vous pourrez dire que vous connaissez l'histoire de l'homme qui est à l'origine de cette appellation, car lorsque l'on parlait de mon père on disait « agent voyer » d'où cette contraction « jenvier ».